24 juillet 2017
© LipSTIC
Directeur de recherche INSERM, Laurent Lagrost dirige le centre de recherche « Lipides, Nutrition, Cancer » (INSERM, Université de Bourgogne, AgroSup Dijon) et coordonne les activités du Laboratoire d’Excellence LipSTIC (Lipoprotéines et Santé : prévention et traitement des maladies inflammatoires et du cancer).
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1 Sepsis est le terme anglo-saxon pour caractériser une réponse inflammatoire généralisée associée à une infection grave.
3 Unité Mixte de Recherche 1231 (INSERM/Université de Bourgogne/AgroSup Dijon)
4 Lipoprotéines et Santé : prévention et traitement des maladies inflammatoires et du cancer
5 Effect of Plasma Phospholipid Transfer Protein Deficiency on Lethal Endotoxemia in Mice : http://www.jbc.org/content/283/27/18702.full
Les statistiques sont implacables ! Selon des estimations publiées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en janvier 2017, « il pourrait y avoir 15 à 19 millions de cas de septicémie par an dans le monde ». Selon cette institution spécialisée de l’Organisation des Nations Unies (ONU), « d’autres données indiquent jusqu’à 31 et 24 millions de cas de septicémie et de choc septique respectivement dans le monde, les états cliniques entraînant des septicémies étant à l’origine d’environ 6 millions de décès ». On estime que ce syndrome tue une personne toutes les 3 à 4 secondes sur la planète. En France, la mortalité des patients atteints d’un sepsis1 est de 27%. Cela dit, la mortalité de la forme la plus grave, à savoir le choc septique, peut atteindre 50%. Des projections suggèrent un doublement du nombre de cas d’ici cinquante ans du fait notamment du vieillissement de la population. Sepsis et choc septique représentent donc un problème de santé publique majeur, ce que l’OMS vient d’ailleurs de reconnaître en mai dernier lors d’une réunion qui s’est tenue à Genève.
Lapins transgéniques et PLTP recombinante
Dans ce contexte, l’article2 qui vient d’être publié le 8 juin dernier par Scientific Reports, revue en open access du groupe Springer Nature, ouvre une voie qui ne peut que susciter beaucoup d’espoir même s’il reste encore de nouvelles étapes à franchir pour parvenir, d’ici quelques années, à la mise sur le marché d’un traitement thérapeutique efficace. Fruit de dix années de travaux de l’équipe de Laurent Lagrost, directeur de recherche INSERM qui dirige le centre de recherche « Lipides, Nutrition, Cancer »3 et coordonne les activités du Laboratoire d’Excellence LipSTIC4, les résultats qui y sont présentés montrent qu’en injectant de la protéine PLTP (Phospholipid Transfer Protein) recombinante dans la veine caudale de souris souffrant de sepsis ou de choc septique, les chercheurs dijonnais sont parvenus à faire régresser la réponse inflammatoire et à l’éteindre. Une PLTP que ces chercheurs connaissent très bien puisqu’ils travaillent depuis des années sur une famille de protéines dite « de transfert des lipides et de liaison des lipopolysaccharides » à laquelle elle appartient.
Ainsi, en 2008, quel ne fut pas leur étonnement d’observer qu’après avoir injecter des lipopolysaccharides (LPS), autrement dit des endotoxines présentes sur la membrane externe des bactéries à Gram négatif, à des souris génétiquement modifiées dont la particularité est de ne plus exprimer le gène de la PLTP, celles-ci mourraient des effets délétères pro-inflammatoires des toxines bactériennes. Publiés le 5 mai de la même année dans la revue américaine Journal of Biological Chemistry5, les résultats de ces travaux les menèrent à émettre l’hypothèse que la PLTP devrait présenter un intérêt, jusqu’alors inconnu et peut-être majeur, dans le domaine de l’immunité innée. Mais pour montrer la capacité de cette protéine à contrecarrer les effets de ces endotoxines chez la souris, encore fallait-il en disposer, qui plus est en quantité suffisante, afin de pouvoir procéder à des essais thérapeutiques. « Très rapidement le lapin est apparu comme le modèle animal le mieux adapté et le plus fiable pour exprimer le gène humain et produire la protéine », explique Laurent Lagrost qui précise par ailleurs que cet animal offre de nombreux avantages pour produire des protéines d’intérêt thérapeutique après transgénèse.
PLTP, une machine à laver les toxines bactériennes ?
C’est au groupe « Différenciation Cellulaire », que dirige alors Louis Marie Houdebine, directeur de recherche INRA au sein de l’Unité de recherche « Biologie du Développement et de la Reproduction » du centre de Jouy-en-Josas qu’est confié ce travail. Réputés mondialement dans le domaine de la transgénèse animale, en particulier chez le lapin – ils ne sont alors qu’une poignée dans le monde à pouvoir relever ce défi – leur objectif va donc être d’abord de générer une activité PLTP plasmatique endogène, via le transfert du gène humain chez le lapin afin de voir si cet animal résiste mieux aux infections, puis de produire un second modèle, cette fois-ci en plaçant le gène sous le contrôle du promoteur d’une protéine synthétisée dans la glande mammaire afin de produire la protéine d’intérêt dans le lait. Mais pour que celle-ci puisse être ensuite utilisée pour traiter d’autres animaux, voire des êtres humains d’ici quelques années, il va falloir d’abord l’extraire, via une technique développée pour l’occasion, puis la purifier au point d’obtenir une protéine isolée, qui plus est qui conserve son activité biologique réputée fragile. Là encore un défi que les équipes de l’INSERM et de l’INRA vont brillamment relever grâce à leurs expertises complémentaires assez uniques dans le monde et que leurs membres ont su accumuler au fil des années.
Les tests peuvent alors commencer avec l’injection de PLTP recombinante dans la veine caudale de souris souffrant de sepsis ou de choc septique. Les chercheurs constatent aussitôt que de faibles quantités suffisent à améliorer considérablement l’état de santé de ces petits animaux. Pas de doute, la réponse inflammatoire régresse et il n’est plus question de dysfonctionnement multi-organes. Ces souris sont sauvées. Preuve que la PLTP est une protéine qui recèle une étonnante propriété qui, jusqu’ici, était insoupçonnée. L’étonnement est tel que certains experts parlent de la PLTP comme d’une « molécule thérapeutique phénoménale » dont le rôle est celui d’une véritable « machine à laver les toxines bactériennes ». « Nous sommes à l’INSERM. Qui plus est, ces travaux sont menés dans le cadre d’un LabEx », rappelle Laurent Lagrost. « Aussi nous restait-il à comprendre comment tout ceci fonctionne ». Il s’agit dont de décortiquer tous les mécanismes mis en jeu et, par conséquent, de se remettre à la paillasse afin de compléter les expérimentations et d’achever les travaux avant de publier les résultats déjà obtenus.
Des travaux qui vont conduire les chercheurs dijonnais à la découverte de deux effets majeurs complémentaires. D’une part, ils mettent en évidence que la PLTP est capable de tuer les bactéries ou, tout du moins, de bloquer la prolifération bactérienne, en fragilisant leur paroi. D’autre part, ils observent que la PLTP, outre la capacité qu’elle a de neutraliser l’activité de ces fameuses endotoxines qui sont les LPS, peut aussi les désagréger de la surface des bactéries avant de les transférer aux lipoprotéines. De simples transporteurs de cholestérol qu’elles sont, celles-ci se mutent alors en véhicules de secours pour convoyer les endotoxines jusqu’au foie et permettre leur élimination par voie biliaire. « La PLTP peut être ainsi assimilée à un bras de levage qui prend les LPS à la surface des bactéries afin de les transborder sur les lipoprotéines, ces dernières jouant alors le rôle de véritables camions poubelles pour ces LPS », résume le chercheur de l’INSERM.
Une piste de recherche qui suscite un enthousiasme légitime
Face à ce problème de santé publique majeur, plusieurs pistes font évidemment l’objet d’études. Certains prônent de bloquer la réponse inflammatoire. D’autres s’orientent vers une élimination des endotoxines via un épurateur externe, un système ressemblant à la dialyse. Quant à l’antibiothérapie, si elle fonctionne parfois, elle n’apporte pas une réponse globale, en particulier parce qu’il existe des résistances aux antibiotiques et que si ces derniers tuent les bactéries ils n’assurent pas néanmoins la collecte et l’élimination de leurs redoutables toxines. « Tant que l’on n’a pas neutralisé de manière endogène, dans l’organisme de l’individu, les endotoxines bactériennes qui vont être responsables de la réponse inflammatoire et de toute la cascade d’effets délétères que cela va entraîner, on ne résout définitivement pas le problème », martèle Laurent Lagrost. Or il apparaît que la PLTP, elle, parvient à neutraliser ces endotoxines et à détoxifier le sang, du moins chez les souris.
Dès lors on comprend que la piste choisie par l’équipe dijonnaise et les résultats qu’elle a déjà permis d’obtenir provoque l’enthousiasme de certains spécialistes. « Dans la pratique de mon métier, j’aurais aimé pouvoir disposer d’une telle molécule, la PLTP, et je me réjouis pour les successeurs qui, un jour peut-être, pourront l’utiliser sous la forme d’un traitement thérapeutique », a déclaré le professeur Didier Payen de la Garanderie qui, après avoir été chef de service anesthésie-réanimation à l’Hôpital Lariboisière, continue aujourd’hui de travailler sur le choc septique et l’inflammation aiguë sous toutes ses formes au sein de l’UMR 1160 de l’INSERM. Pour sa part, le professeur John Chapman, spécialiste mondialement réputé des lipoprotéines, estime « extrêmement original et particulièrement prometteur d’ouvrir un nouvel horizon utilisant une forme recombinante de PLTP qui semble correspondre étroitement à la forme endogène chez l’homme, d’autant plus que cette solution présente une modalité de traitement et de soin qui peut s’avérer très efficace ». On attend donc la prochaine étape avec une certaine impatience.■
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