21 octobre 2018
Joël Doré, Directeur de Recherche INRA
© INRA - Bertrand Nicolas
Ceux qu’hier encore on appelait « flore intestinale », et qui, sous le nom de « microbiote » font aujourd’hui de plus en plus souvent la « une » des médias, Joël Doré les connaît bien. Ces quelque deux kilos de microbes intestinaux, considérés désormais comme un organe, constituent en effet depuis 35 ans le terrain de jeu de ce directeur de recherche INRA qui mène aujourd’hui ses travaux au sein de l’UMR Micalis1 et de l’Unité MétaGénoPolis. Reconnu par ses pairs qui lui ont décerné notamment les Lauriers de l’INRA en décembre 2017, son nom a même été utilisé pour baptiser un nouveau genre bactérien, Dorea, qui compte plusieurs espèces, mais aussi une espèce connue sous le nom de Bacteroides dorei. Pas question néanmoins pour cet homme à la carrière déjà si dense et féconde de ne pas franchir de nouvelles étapes en compagnie de ces microbes intestinaux dont il se dit parfois le porte-parole. C’est ce qu’il a fait en particulier en décembre 2014 en s’impliquant dans « une aventure assez unique » comme il résume la création de MaaT Pharma, une entreprise d’une vingtaine de personnes dont il est l’un des sept co-fondateurs et le conseiller scientifique. Retour sur les premiers pas et les objectifs de cette jeune entreprise qui a déjà levé 17 millions d’euros.
Propos recueillis par Jean-François Desessard.
Joël Doré – En 2008, Enterome, une première entreprise autour du microbiote et des travaux que nous menions alors, mon collègue Dusko Ehrlich et moi-même sur le séquençage génomique des microbes intestinaux, au sein de l’Unité MétaGénoPolis à Jouy-en-Josas, a été créée par Pierre Bélichard qui en est l’actuel Directeur Général. L’objectif était de valoriser les travaux de l’INRA afin de développer des outils de diagnostic ou de prédiction. Dusko Ehrlich est devenu alors le conseiller scientifique de cette start-up qui s’est depuis également intéressée au développement de nouveaux médicaments et de petites molécules thérapeutiques. C’est ainsi qu’a été lancée une collaboration commune entre l’INRA et Enterome qui se poursuit encore aujourd’hui. Au-delà, il y avait aussi un autre volet particulièrement prometteur autour du biobanking d’échantillons intestinaux humains destinés éventuellement, mais pas uniquement, au Transfert de Microbiote Fécal (TMF). J’ai donc proposé, avec Pierre Rimbaud, Conseil médical d’Enterome de lancer des travaux orientés sur ce qu’on appelle le TMF Autologue où donneur et receveur ne font qu’un, ce qui a conduit en décembre 2014, après une année de travail intense en collaboration avec Hervé Affagard, le porteur de ce projet, à la création de MaaT Pharma dont il est le Directeur Général. Celle-ci est basée à Lyon, au sein d’Accinov, la plateforme d’innovation de Lyonbiopôle. J’en suis l’un des sept co-fondateurs et le conseiller scientifique. Aujourd’hui, j’y consacre 20% de mon temps de travail de chercheur de la fonction publique, soit une journée par semaine, comme me l’a autorisé la Commission Nationale de Déontologie.
Joël Doré – Ayant beaucoup travaillé sur la partie standardisation et optimisation des méthodes visant à caractériser toujours mieux le microbiote, l’idée m’avait trotté dans la tête à plusieurs reprises. Mais j’ai très vite compris que ce n’était pas possible pour moi de porter un projet de ce type si je voulais continuer d’exercer mon métier de chercheur. Mais quand l’opportunité s’est présentée, je n’ai pas hésité un instant à me lancer dans cette aventure assez unique. Jusqu’alors, j’avais pratiqué la recherche en commençant par faire de la paillasse comme on dit, avec ma blouse blanche et mes gants, puis en encadrant des équipes. Or là, j’allais enfin pouvoir concrétiser mon rêve de chercheur, à savoir faire en sorte que mes travaux puissent apporter des bénéfices à la société en matière de nutrition et santé et, en particulier, à des patients à l’hôpital.
Joël Doré – Notre but était de réaliser une preuve du concept en utilisant le Transfert de Microbiote Fécal autologue d’un échantillon intestinal sur l’homme dans le cadre d’un essai clinique. Aussi nous y sommes-nous préparés au laboratoire, d’abord in vitro en développant des solutions permettant de préserver au maximum l’échantillon congelé, puis en démontrant in vivo, sur des animaux de laboratoire, notre capacité à reconstruire quasiment à l’identique cette échantillon intestinal préservé à - 80°C. Ne nous restait plus alors qu’à déposer un premier projet d’essai clinique chez l’homme auprès de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM). Cet essai portait sur des patients, au nombre de 25, diagnostiqués pour une leucémie myéloïde aiguë. Afin d’éliminer les globules blancs cancéreux présents dans le sang de ces patients, ces derniers entre quasiment immédiatement en chimiothérapie, une chimiothérapie d’induction particulièrement lourde, suivie de façon quasiment systématique par de l’antibiothérapie, les défenses naturelles du patient étant alors très basses. Ces deux traitements entraînent évidemment une altération importante du microbiote et perturbent profondément le transit intestinal, d’où la prolifération de bactéries résistantes aux antibiotiques et l’augmentation du risque infectieux.
La solution développée par MaaT Pharma a donc consisté dans un premier temps à collecter sur chacun de ces 25 patients un échantillon au moment du diagnostic, puis à le conditionner et le préserver dans un laboratoire dit « GMP » (Good Manufacturing Practices) selon la certification européenne, autrement dit qui applique les Bonnes Pratiques de Fabrication (BPF). MaaT Pharma est la seule structure européenne à faire cela aujourd’hui. Dans un deuxième temps, au sortir de la chimiothérapie suivie d’une antibiothérapie, chaque patient a reçu, via une injection par voie basse, son échantillon. Chacun d’entre eux est alors reparti dix jours à son domicile avant de revenir pour une nouvelle chimiothérapie. J’ajoute qu’à chacune de ces étapes, un prélèvement du microbiote a été réalisé afin de connaître son état d’altération après le premier mois de traitement, et l’importance de sa reconstruction avant d’entamer la seconde chimiothérapie. Commencé en juillet 2016, cet essai clinique baptisé « Odyssée » s’est achevé en juillet 2017 et le suivi à un an a donné ses résultats cette année. Ceux-ci seront présentés lors du Congrès annuel de l’American Society of Hematology en décembre prochain à San Diego, aux Etats-Unis.
Joël Doré – Les patients perdent en moyenne 15% de leur poids au cours de la première chimiothérapie. En outre, leur transit intestinal est très altéré. Or suite à la réimplantation de l’échantillon, nous avons observé une reconstruction à plus de 90% de leur microbiote chez 90% des patients, un résultat encore meilleur que ce que nous avions obtenu chez l’animal. D’autre part, la moitié des patients ont repris du poids. Par ailleurs, ils ont indiqué avoir retrouvé un transit intestinal normal en 24 heures suite à l’injection de l’échantillon. Enfin, il semble que cette transplantation de leur microbiote permette aux patients de mieux résister à la suite du traitement de leur cancer et laisse entrevoir une possibilité d’augmenter les chances de guérison. A présent, nous souhaitons franchir une nouvelle étape en testant cette méthode sur un plus grand nombre de patients, sans doute courant 2019, avec une formulation moins intrusive puisqu’elle prendra la forme de capsules. Au-delà du Transfert de Microbiote Fécal autologue, MaaT Pharma a également vocation à aller sur le terrain du transfert de microbiotes fécaux standardisés, autrement dit d’un ou de plusieurs sujets sains vers un patient, ceci dans des contextes d’indications très sévères où la clinique se trouve parfois dans une impasse thérapeutique. MaaT Pharma a ainsi lancé un essai multicentrique international dit de Phase 2 chez des patients traités pour un cancer des tissus sanguins et développant une réaction intestinal aigüe dite maladie du Greffon Contre l’Hôte (GVH). Il s’agit d’une complication majeure qui survient à la suite d’une greffe allogénique de cellules souches (greffe de moelle osseuse). La coordination internationale de cet essai est portée par le professeur Mohamad Mohty qui dirige le service d’Hématologie clinique et thérapie cellulaire de l’Hôpital Saint-Antoine à Paris. ■
1 Directeur de recherche au sein de MICALIS (Microbiologie de l’Alimentation au service de la Santé), une Unité Mixte de Recherche INRA/AgroParisTech du centre INRA de Jouy-en-Josas, et directeur scientifique de l’Unité MétaGénoPolis
Contact : Joël Doré
E-mail : joel.dore@inra.fr
Site : MetaGenoPolis : www.mgps.eu
MaaT Pharma : www.Maatpharma.com