26 septembre 2017
Gérard Férey
© S© Frédérique PLAS/CNRS Photothèque
(1) MIL comme Matériau de l’Institut Lavoisier, du nom du laboratoire où ils ont été conçus au sein se l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ). Utilisant différents métaux, associés par des molécules organiques, chacun de ces « MIL » est repéré par un numéro.
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Il y a des hommes et des femmes qui laissent une empreinte plus ou moins forte et durable dans la carrière d’un journaliste. Celle laissée par Gérard Férey, un des plus grands scientifiques que j’ai eu le plaisir de rencontrer et d’interviewer, n’est pas prête de s’effacer. Et pourtant, ce chimiste passionné et passionnant, était discret comparé à bien d’autres, aux travaux souvent bien moins importants mais qui savent si bien les mettre et se mettre en scène. La dernière fois que je l’ai croisé, c’était à l’automne 2010, quelques semaines après l’annonce du CNRS de la décision de lui décerner sa Médaille d’Or, la plus importante des distinctions scientifiques françaises, et environ un mois avant qu’il ne la reçoive dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne.
« La chimie est à la fois une science et une industrie », me rappela-t-il d’emblée. Aussi est-il nécessaire pour les chercheurs qui pratiquent cette discipline d’œuvrer non seulement à l’avancement de la science mais aussi de travailler à l’amélioration du bien-être de la société. « C’est la démarche que j’ai tenté de suivre tout au long de ma carrière, à travers différentes tentatives et, en particulier, la dernière qui concerne les matériaux poreux hybrides connus sous le nom de MIL (1) », résuma-t-il. Des solides poreux dont l’histoire était déjà longue quand ce chimiste à décider de s’y intéresser. En effet, tout a commencé en 1756, en Suède, quand un minéralogiste du nom de Axel-Fredrik Cronstedt, décida d’étudier le comportement à la chaleur d’un minerai naturel, la stilbite. Il observa alors avec surprise que, chauffé à 150° C, cet aluminosilicate de calcium et de sodium se couvrait de bulles, comme s’il bouillait. Cette famille de composés si étranges, Cronstedt va la baptiser zéolithes.
Plus d’un siècle après, un homologue de cette famille est synthétisé. Mais il faudra attendre encore près de 70 ans pour que le grand chimiste Linus Pauling, prix Nobel de chimie 1954 et prix Nobel de la paix 1962, parvienne à expliquer le phénomène observé chez ces minéraux par leur structure cristalline si particulière. Les assemblages d’atomes, autrement dit le squelette, laissent apparaître en effet des trous, les pores, de quelques angströms de diamètre, disposés régulièrement dans le solide, dessinant ainsi une surface interne sur laquelle vont pouvoir venir se fixer les molécules qui s’y logent. Des particularités auxquelles les chercheurs, mais aussi les industriels, vont très vite s’intéresser. La taille des pores et la surface interne de ces solides conviennent parfaitement pour être utilisés comme tamis moléculaires, échangeurs d’ions, catalyseurs, adsorbeurs de gaz mais aussi, et surtout, dans l’industrie pétrolière pour le cracking et le raffinage des huiles lourdes. Pour autant, plusieurs facteurs, notamment leur coût et l’impossibilité d’obtenir des pores de dimensions importantes, limitent la rapidité de leur développement.
Mais au début des années 1990, apparaît une nouvelle classe de solides poreux dont le squelette est composé à la fois de parties inorganiques et organiques, liées entre elles exclusivement par des liaisons fortes. On les appelle des solides poreux hybrides ou MOFs (Metal-Organic Frameworks). Véritable pionnier dans ce domaine, le groupe de Gérard Férey va en concevoir un grand nombre. Combinant chimie maîtrisée et simulation numérique, ces chercheurs parviennent à créer et prédire leur structure, en particulier celles des premiers solides mésoporeux cristallisés, dont le volume est proche de celui des protéines. En 2005, Gérard Férey présente l’un de ces matériaux. Baptisé MIL-101 (Matériaux de l’Institut Lavoisier n° 101), il présente un volume équivalent à celui des protéines. Grâce à des pores d’une taille de 2,5 nanomètres, 1 m3 de ce matériau peut capter près de 400 m3 de gaz carbonique à 25° C.
D’où l’engouement qu’il suscite rapidement dans certains secteurs industriels, d’autant plus qu’il permet aussi d’encapsuler des médicaments, notamment des anti-cancéreux, augmentant ainsi d’un facteur 10 les performances des composés déjà existants. Deux ans plus tard, l’équipe de Gérard Férey découvre une nouvelle famille inédite de ces solides, les dicarboxylates métalliques trivalents capables d’augmenter de plus de 300% leur volume sous l’effet d’un solvant, qui plus est de manière totalement réversible. Energie, développement durable, santé, dans tous ces secteurs les MOFs apparaissent comme des matériaux extrêmement prometteurs. « L’important est de faire de beaux enfants et je crois en avoir fait quelques-uns, grâce au soutien sans faille de mes collègues », me confia-t-il ce jour là, alors fier d’avoir réussi à passer le relais à ses « lascars », un nom que cet ancien instituteur avait l’habitude de donner à ces étudiants.
Diplômé de l’Ecole Normale, Gérard Férey avait en effet commencé sa carrière professionnelle comme enseignant à Saint-Clair-sur l’Elbe, une petite commune du département de la Manche, avant de reprendre des études universitaires à Caen, puis au Mans et d’y mener une thèse de doctorat de 3ème cycle et une thèse d’Etat. D’où sans doute cette façon qu’il avait non seulement de vous expliquer simplement, avec les mots du quotidien, mais aussi de vous faire découvrir et de vous donner envie de comprendre. Il s’en est allé, le 19 août dernier, à l’âge de 76 ans. Ses « lascars » et tous ceux qui, comme moi, ont eu le privilège de le rencontrer ne sont pas prêts de l’oublier.■
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