2 février 2016
Parmi les quelque 120 conseillers qui ont collaboré avec les 12 derniers ministres de l’Education en France afin d’établir une politique et de décider des réformes nécessaires, 1 seul avait eu en charge antérieurement des responsabilités directes dans l’enseignement technologique et aucun dans l’enseignement professionnel. Un constat qui ne peut que surprendre alors que le chômage des jeunes reste élevé dans une France dont la santé économique reste préoccupante. D’où l’importance du colloque organisé le 21 janvier dernier à l’initiative de l’Académie des Technologies, avec le concours des Compagnons du Devoir et le soutien du Fonds de dotation « Les Technologies pour l’Homme », intitulé Relancer la formation professionnelle et l’apprentissage. L’occasion de rencontrer Alain Bugat, Président de l’Académie des Technologies, à mi-parcours de son mandat.
Propos recueillis par Jean-François Desessard.
Alain Bugat, Président de l'Académie des Technologies
Alain Bugat - L’Académie des Technologies a été créée en 2000. Aussi peut-on dire en effet qu’elle est encore jeune si on la compare à certaines de ces homologues à l’étranger, je pense en particulier à la National Academy of Engineering (NAE), aux Etats-Unis, fondée en 1964. Aujourd’hui, nous sommes une sorte de club de personnalités compétentes, pour la plupart retirées des affaires opérationnelles, qui compte 304 membres. Financée par l’Etat, l’Académie produit notamment chaque année un certain nombre d’études. Se pose à présent la question de savoir si dans les prochaines années nous n’allons pas devoir disposer d’une structure plus lourde afin de développer davantage d’activités plus impliquées dans la vie opérationnelle du pays, comme le fait déjà notre homologue allemande, l’Acatech qui s’est vue confier entre autres l’étude de l’usine du futur 4.0.
Mon souhait serait donc que l’Académie des Technologies soit plus insérée dans un dispositif français qui doit évoluer. Car derrière toutes les grandes décisions politiques, par exemple en matière d’énergie, de transports ou de technologies de l’information, se profilent des technologies, ce qu’elles permettent aujourd’hui et permettront demain, et les budgets que vont nécessiter leurs développements dans le cadre de projets. La France dispose-t-elle des acteurs pour mener à bien ces projets et quelles en seront les retombées industrielles ? Personnellement, je milite pour que l’on adopte le système anglo-saxon de livre-vert ou livre-blanc avant toute décision. Or aujourd’hui, en France, seule le ministère de la Défense l’a adopté. C’est me semble-t-il l’une des causes de cette baisse significative de confiance du public vis-à-vis des technologies, celui-ci ayant souvent l’impression que les études sont partiellement « pipées ». Aussi mes successeurs à la tête de cette académie devront réfléchir en particulier à sa plus grande implication dans la réalisation de ces études.
Alain Bugat - Nous avons fait le constat que le monde de la recherche scientifique - c’est normal - mais aussi l’ensemble du système éducatif français sont élitistes. Au sein de l’Education Nationale et des différentes académies, on ne pense globalement que bac + 5 et Grandes Ecoles. Alors s’il est dans la mission de l’Académie des Sciences par exemple de s’occuper des docteurs, nous avons considéré que l’Académie des Technologies pourrait être très utile en se focalisant sur la tranche d’âge éducative, située entre bac - 3 et bac + 3, qui, dans un pays industrialisé, fournit les personnels de base de l’industrie.
Dans un premier temps nous avons collecté certaines données afin de prendre conscience de la véritable situation de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage en France. Un exemple parmi tant d’autres : de 1950 à 1990, de 2000 à 2500 professeurs de spécialités industrielles on été recrutés annuellement pour les lycées techniques et professionnels, via notamment une dizaine de spécialités d’agrégations technologiques. 80% d’entre eux avaient une forte expérience de l’entreprise. Or aujourd’hui ne subsiste qu’une agrégation technologique dont le contour ignore un très grand nombre des grands secteurs de production.
Alors certes il y a ces données, dont certaines sont véritablement préoccupantes. En revanche, de nombreuses initiatives enthousiasmantes sont menées en France. Dans ce contexte, la Commission Formation-Emploi de l’Académie des Technologies, sous l’impulsion de sa présidente Jacqueline Lecourtier, a donc pris la décision d’organiser un premier événement, sous la forme d’un colloque. Son objectif était à la fois de montrer quelques-unes de ces très belles réalisations en matière de formation professionnelle et d’apprentissage et de réfléchir à ce qui pourrait être fait pour que l’ensemble de ces secteurs professionnels, mal aimés depuis trop longtemps, retrouve une image positive.
Alain Bugat - Comme l’a rappelé Jacqueline Lecourtier à l’occasion de la clôture de cette journée, les participants en sont sortis avec une vision extrêmement positive teintée d’enthousiasme. Il semble que les diagnostics convergent entre les acteurs de la formation et ceux de l’industrie, en particulier quant à la nécessité de redorer l’image de la technologie à l’égard de laquelle une certaine défiance s’est installée au fil des années. Les jeunes, et leurs parents, le plus souvent mal informés sur des métiers de base pourtant porteurs d’espoir pour l’avenir, pourront ainsi s’y orienter librement. Des métiers qui, d’ailleurs, évoluent et sur lesquels l’Académie des Technologies souhaiterait mener une réflexion afin de voir comment mieux anticiper leurs évolutions et répondre plus efficacement aux besoins qui seront ceux de l’industrie de demain.
Les témoignages et les expériences rapportés tout au long de cette journée ont montré le rôle capital joué par les régions. Les différents dispositifs déjà mis en place au sein de certaines d’entre elles ont confirmé, s’il le fallait, qu’elles représentent le creuset essentiel pour avancer. La proximité qu’elles génèrent permet en effet d’initier des dialogues et de tendre des passerelles entre les industriels, les acteurs de la formation et le public et d’aboutir à l’émergence de solutions. Un bilan par conséquent très positif pour cette journée dont nous publierons prochainement les actes En outre, et selon le souhait de plusieurs de nos partenaires, dont les Compagnons du Devoir, nous allons travailler pour faire émerger rapidement un certain nombre de propositions.■
Contact : Catherine Come
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